#3- Rencontre avec Miroslav Sviezeny, co-fondateur de Qarnot Computing
Miroslav Sviezeny était Président lors de son mandat à ESSEC Solutions Entreprises en 1997.
Après son expérience en tant que chef de projet au sein du cabinet de conseil, il s’est tourné vers le monde de l’entrepreneuriat. Il est aujourd’hui co-fondateur et Directeur Général de Qarnot Computing.
Présentation
Pour commencer, quel a été votre parcours depuis EDS / ESE ?
À la suite de mes années, de 1996 à 1998, au sein d’ESE (anciennement EDS) , je me suis dirigé vers le monde du conseil et j’ai passé deux ans en tant qu’analyste chez Arthur D. Little, un cabinet de conseil en stratégie.
J’ai vite réalisé que le conseil ne me correspondait pas. En effet, je ne percevais pas toujours le sens des missions réalisées et la valeur ajoutée aux entreprises. J’avais besoin de concret et je voulais m’essayer à l’entrepreneuriat. C’est en 2000 qu’a commencé mon expérience entrepreneuriale. Avec un ami, nous avions créé « Qualisphère », une start-up qui proposait une plateforme regroupant la population des grandes écoles de commerce et d’ingénieur autour du thème de l’emploi. Malheureusement, nous l’avons fermée 2 ans plus tard à la suite de la crise du 11 septembre 2001.
Malgré cet échec, je ne souhaitais pas rejoindre une grande entreprise. De plus, mon père, ingénieur en électronique, avait imaginé un projet intéressant autour de l’IT et j’étais motivé à développer ce projet avec l’idée de vendre des systèmes de développement hardware. C’est en ce sens que j’ai fondé « 4MTec » en 2003. La structure s’est développée petit à petit et répondait aux besoins de développement hardware des entreprises clientes dans des domaines tels que l’informatique, la mécanique ou encore l’informatique embarqué. 4MTec a, par exemple, entièrement développé le système hardware de Coyote, l’inventeur de l’avertisseur de radar. Cependant, le jour où Coyote s’est fait racheter, notre collaboration a pris fin alors que cette dernière était à l’origine de plus de la moitié du chiffre d’affaires de 4MTec.
J’ai regretté que 4MTec ne se soit pas associée à Coyote et désormais, je souhaitais davantage m’investir dans des projets et détacher mon entreprise de son statut de prestataire. C’est pourquoi, lorsque j’ai eu l’opportunité de m’associer et créer Qarnot Computing en 2010, j’ai saisi l’opportunité. Aujourd’hui, et depuis maintenant 13 ans, je suis co-fondateur et Directeur Général de Qarnot Computing.
Historique de Qarnot Computing et tendances du marché du cloud HPC
Pouvez-vous nous présenter Qarnot ?
Qarnot a été créée en 2010 et rassemble aujourd’hui 70 collaborateurs. C’est une entreprise tech qui travaille sur la valorisation de la chaleur fatale informatique et sur le calcul intensif, ou « High Performance Computing » (HPC). Qarnot s’inscrit dans une logique industrielle et possède 70 000 ordinateurs qui font des calculs pour nos entreprises clientes.
Qarnot est partie du constat que les data centers sont des infrastructures très lourdes. Ces derniers concentrent en effet des dizaines de milliers de machines qu’il faut alimenter en électricité, ce qui consomme énormément d’énergie, et qu’il faut refroidir car leur concentration génère beaucoup de chaleur. De plus, l’énergie générée pour refroidir les data centers n’est pas utilisée. D’un autre côté, de nombreuses personnes sont en précarité énergétique et n’arrivent pas à se chauffer. Alors, pourquoi ne pas utiliser la chaleur dégagée des ordinateurs afin de chauffer les bâtiments ? Voilà l’objectif de Qarnot.
Comment avez-vous fondé Qarnot ? Comment vous est venu l’idée ?
En 2010, j’ai rencontré Paul Benoît, aujourd’hui co-fondateur et Président de Qarnot Computing, qui m’a fait part de son idée : créer un système capable de chauffer des bâtiments avec des ordinateurs. Au départ, cette idée me paraissait folle, néanmoins lorsque je me suis retrouvé face à un radiateur totalement silencieux qui faisait des calculs et chauffait mon bureau à la fois, j’ai été impressionné. Nous nous sommes alors associés et avons profité de l’émergence de l’innovation responsable et des subventions dédiées pour démarrer ce projet.
Jusqu’en 2014, la R&D de Qarnot Computing était financée par les ressources de 4MTec. Ensuite, nous avons réalisé plusieurs levées de fonds. Nous avons levé 2 millions d’euros en 2014, 2.5 millions d’euros en 2016, puis 6 millions d’euros en 2020 et finalement 35 millions d’euros début 2023 pour poursuivre le développement de l’entreprise.
Quelles ont été les grandes étapes de développement de la start-up depuis sa création en 2010 ? Quelle année a été la plus marquante ?
L’entreprise a vu le jour en 2010. L’objectif était de trouver un moyen de valoriser la chaleur fatale informatique. En 2013, le radiateur ordinateur a été lancé. Ce radiateur contenait trois cartes mères qui faisaient du calcul intensif et généraient de la chaleur. Celui-ci était installé dans les bâtiments et les personnes qui l’utilisaient pour se chauffer indiquaient la température souhaitée. L’ordinateur s’adaptait ensuite à la consigne de chauffe en générant plus ou moins de calculs.
En 2018, afin de dépasser les problématiques de saisonnalité (au printemps et pendant l’été, nous avons besoin de moins de chaleur) et de demande de la part des clients en termes de matériel informatique, Qarnot a développé un modèle de chaudière. Dans cette chaudière, tout type de matériel informatique pouvait être installé. De plus, ces dernières étaient déployées dans des lieux très consommateurs de chaleur, peu importe la période de l’année.
Dernièrement, Qarnot est entrée dans une nouvelle phase de développement à la suite de sa levée de fonds de 35 millions d’euros. Selon moi, 2022 est l’année la plus marquante car Qarnot a su amorcer l’industrialisation de son système.
Comment se positionne Qarnot sur le marché du cloud HPC (High Performance Computing) ?
Sur ce marché, les concurrents sont importants : Microsoft, Google, Amazon, etc. Mais, Qarnot se distingue par son côté bas carbone et souverain : l’entreprise opère ses propres infrastructures, ne construit pas de data centers, valorise la chaleur fatale, rallonge la durée de vie de ses processeurs et utilise du matériel reconditionné. Un autre point fort est le fait d’avoir des tarifs en dessous de ceux de la concurrence tout en étant très performant, ce qui attire de nombreuses entreprises.
Quelles tendances futures peut-on anticiper concernant ce marché ?
Les grandes tendances à venir sont le machine learning et l’intelligence artificielle. Ces sujets sont très calculatoires et nécessitent énormément de ressources (pensons par exemple à Chat GPT). Qarnot souhaite devenir une des infrastructures de référence sur ces sujets.
Quel est le principal défi auquel le cloud HPC va se confronter ?
Les data centers se sont multipliés et consomment beaucoup d’énergie. En France, les data centers consomment 10% de l’électricité française. Dès à présent, il n’est plus possible de déployer le numérique à cette vitesse sans prendre en compte le sujet énergétique. Il faudrait donc construire des data centers plus petits, mieux ciblés et où l’énergie est beaucoup mieux consommée. Qarnot est persuadée que les data centers consomment, certes, de l’énergie mais que ces derniers peuvent contribuer à réduire la consommation énergétique dans d’autres domaines en étant plus performants.
Quels sont les objectifs de la levée de fonds que Qarnot a réalisée en ce début d’année ?
Qarnot a récemment réalisé une levée de fonds de 35 millions d’euros. L’objectif est d’ouvrir un ou deux sites d’envergure en 2023. Aujourd’hui, notre plus gros site compte 40 chaudières et l’idée est d’avoir des sites avec une centaine de chaudières.
Un autre objectif est de commercialiser ces sites en créant des équipes commerciales. Aujourd’hui, sur 70 personnes, plus de 60% sont des développeurs informatiques. Dorénavant, il faudrait passer à une structure qui soit composée d’autant de commerciaux que d’ingénieurs.
Focus sur le métier d’entrepreneur
Qu’est ce qui fait un bon entrepreneur selon vous ?
Un bon entrepreneur est une personne résiliente, qui supporte les échecs et qui sait rebondir sur les obstacles. D’un autre côté, un entrepreneur est une personne extrêmement motivée et passionnée par son entreprise, mais aussi alerte et éveillée de façon à saisir les opportunités et s’entourer d’une bonne équipe. Je pense qu’une équipe qui fonctionne est composée de profils complémentaires, ce qui permet de maîtriser tous les sujets. Enfin, un entrepreneur est organisé afin de bien gérer son entreprise.
As-tu une anecdote à nous partager sur cette expérience ?
Je pense que fonder son entreprise est une excellente idée. Il n’y a rien de plus gratifiant que de voir son projet se concrétiser et son entreprise se développer. Être entrepreneur est un style de vie, l’entrepreneur pense à son entreprise à chaque moment, c’est pourquoi il faut être motivé et passionné.
De plus, beaucoup d’entrepreneurs sont déçus parce qu’ils ont une image de la start-up success story. Mais, il ne faut pas oublier que beaucoup d’entreprises font faillite, que de nombreux entrepreneurs connaissent des difficultés et des échecs avant de voir leur entreprise ou l’une de leurs entreprises prospérer. Cependant, lorsque l’entreprise est en pleine croissance, le sentiment est incroyable.
Aujourd’hui, en tant qu’étudiant de l’ESSEC, vous bénéficiez d’une filière entreprenariat qui est géniale. D’autre part, les associations professionnelles telles que ESE sont des très bonnes façons de démarrer l’entreprenariat.
ESE dans tout ça ?
Qu’est-ce que votre expérience à EDS/ESE vous a apporté ?
Mon expérience à ESE m’a donné le goût de l’entreprenariat. Au sein de l’association, nous avons tous un rôle de manager. Nous devons gérer la structure de façon à accroître le nombre de clients, le nombre et la qualité des études ainsi que le chiffre d’affaires. J’ai appris à convaincre et à vendre nos services à des entreprises. Parfois, les missions étaient un challenge et m’invitaient à me dépasser. Enfin, cette expérience m’a ouvert les yeux sur le fait qu’avoir une bonne équipe est important pour faire fonctionner une entreprise. Pour moi, ESE est une véritable école de l’entrepreneuriat.
Quel souvenir en gardez vous ?
Je me souviens de la période de recrutement. Je devais passer plusieurs entretiens et ce fût une période intense pour moi. À cette période, ESE s’appelait encore EDS pour ESSEC Direct Service et les missions consistaient essentiellement en du phoning. Je devais donc faire mes preuves en tant que phoneur et montrer ma motivation à rejoindre l’association.
Et enfin, avez-vous un petit mot pour les futures générations d’ESE ?
Vivre l’expérience ESE est génial. Les associations professionnelles sont une des meilleures façons de mettre le pied dans le monde du travail et entrer à ESE est un super départ dans la vie professionnelle. Je vois l’association se métamorphoser en termes d’organisation, de types d’études et c’est formidable. Selon moi, cette transformation est réellement le fruit de l’entreprenariat. ESE a su réagir et s’adapter à l’évolution du marché et de la demande afin de répondre toujours plus efficacement aux besoins des entreprises.
Nous remercions Miroslav Sviezeny pour ce moment d’échange privilégié