Quand la RSE bouscule les multinationales

Image d'une ampoule allumée posée sur de la terre - CCI FV

« Arrethon le carnage ». Voilà le slogan qu’a choisi Greenpeace en 2014 pour s’en prendre au leader mondial du thon en boîte, Thai Union Group. Attaquée à plusieurs reprises par l’ONG, la multinationale n’est pas restée insensible aux offensives et a réalisé de réels progrès en matière de Responsabilité Sociétale des Entreprises (RSE). Cet exemple, révélateur d’une tendance entamée depuis quelques années déjà, témoigne de la part croissante prise par la RSE au sein des grands groupes.

Quand Greenpeace s’en prend aux multinationales

Les attaques de la société civile contre les multinationales sont souvent organisées par des ONG cherchant à interpeller les consommateurs. L’entreprise Thai Union Group, plus connue en France avec sa marque Petit Navire, a été la cible de Greenpeace pendant trois ans. L’ONG pointait notamment du doigt la surpêche et les conditions de travail dans ses chaînes d’approvisionnement.

Directeur du développement durable chez Thai Union à l’époque, Sylvain Cuperlier a dû gérer la crise orchestrée par Greenpeace. Il a établi un dialogue constructif et régulier avec l’ONG afin d’écouter leurs attentes et de préciser la position de la multinationale sur le sujet. La surpêche du thon albacore dans l’Océan Indien était une évidence tant pour l’ONG que pour le groupe. Pour autant, il n’était pas question d’abandonner complètement les dispositifs de concentration de poissons (DCP) utilisés massivement pour pêcher les thons. Greenpeace souhaitait la disparition des DCP au profit de la pêche à la canne mais cette manière de pêcher, moins industrielle, entraîne un surcoût sur le produit final que le consommateur n’est pas toujours prêt à payer.

Pour Sylvain Cuperlier, la pêche à la canne « est peut-être une partie de la solution mais ce n’est pas la solution ». Il a cherché une alternative et s’est attelé à la rédaction d’un document définissant la vision et les objectifs de Thai Union. Pour la première fois, une feuille de route détaillée autour du développement durable a ainsi été rédigée et la crise s’est résolue par un accord en juin 2017. Il souhaitait orienter l’action de toutes les filiales du groupe en tendant vers la certification MSC*, qu’il trouvait plus appropriée à la pêche industrielle. Parmi les engagements concrets qui ont été pris, la multinationale a décidé de multiplier par deux d’ici 2020 le pourcentage de thons pêchés sans l’utilisation de DCP dans cinq pays européens.

Quand la RSE s’invite au comité de direction

Ces dernières années, les sujets sociétaux ont été de plus en plus pris en compte dans la stratégie de certains grands groupes. « Le développement durable n’est pas seulement la cerise sur le gâteau, il fait partie du processus de décision », explique Sylvain Cuperlier à propos de la présence de la directrice RSE de Thai Union au comité de direction de l’entreprise. De ce fait, certains investissements allant totalement à l’encontre des principes du développement durable peuvent être remis en question par la directrice RSE. Pour l’entreprise, c’est un moyen supplémentaire de garder le contrôle à la fois sur la nature des investissements réalisés et sur sa réputation.

Par ailleurs, Sylvain Cuperlier considère que « le groupe n’est pas toujours le mieux placé pour connaître les problèmes chez les fournisseurs ». Par exemple, les conditions de travail étaient déplorables chez certains fournisseurs de Thai Union et cela a conduit le groupe à rédiger un code de conduite que devaient signer les navires de ses chaînes d’approvisionnement. En Thaïlande, la majorité a refusé mais les pressions du gouvernement thaïlandais, une des parties prenantes de Thai Union, ont obligé certains navires à revenir sur leur décision. En fait, les ONG et les journalistes ont également leur rôle à jouer pour révéler aux multinationales les dérives en matière de développement durable chez leurs fournisseurs et plus généralement dans leurs filiales. L’exemple de Thai Union le montre très clairement : une entreprise seule ne peut pas changer les choses.

Même si la RSE n’est pas une obligation légale, la nécessité de responsabiliser ses actions semble essentielle aujourd’hui. Elle fait pourtant encore débat dans certaines multinationales. Certes, le développement durable a un coût, chiffré à 90 millions de dollars entre 2017 et 2020 pour Thai Union, mais choisir de ne rien faire pourrait s’avérer encore plus coûteux à long terme : c’est l’activité même du groupe qui s’arrêterait si une espèce de thon était menacée de disparition à cause de la surpêche. Les multinationales sont souvent des leaders influents dans leur domaine, il est de leur responsabilité de définir une vision et de montrer la voie aux autres acteurs de leur secteur.

* La certification MSC est attribuée aux pêcheries ayant une activité durable. Pour certifier ou non une pêcherie, elle prend en compte l’état des stocks de poissons pour savoir s’il y a des espèces menacées ou non, l’impact sur les écosystèmes de la pêche et la présence ou non de règles essentielles et scrupuleusement suivies par la pêcherie.

 

Photo de CCI FV