Entreprendre sans risque : le nouveau compromis français ?

À l’ère de la digitalisation, les aspirations professionnelles des nouvelles générations semblent avoir pris un nouveau tournant. Innovation, créativité et nouvelles technologies sont peu à peu devenues les maitres-mots d’une génération désireuse de « monter sa boite » en développant une idée ou un concept original.
Aujourd’hui, la France compte un peu plus de 10 000 startups portées par une dynamique entrepreneuriale : d’un côté l’envie de créer ; et de l’autre un écosystème économique favorable. Pourtant, l’échec reste la norme : 90% des startups en France échouent et seules quelques jeunes pousses arrivent à triompher sur la scène économique. La clé du succès ? Pas de formule magique pour réussir ! Néanmoins, les success stories ont su combiner la pertinence de leur positionnement et la passion de l’équipe pour convaincre les investisseurs de croire en leur projet. Finalement, le plus dur n’est pas de se lancer, mais de se développer.
Si la plupart des startups françaises ont du mal à trouver les fonds nécessaires pour concrétiser et tester leurs idées, elles restent tout de même très attractives par rapport à leurs concurrentes d’outre-Manche. Aujourd’hui, 31% des startups françaises ont à leur capital un fonds de capital risque – plus communément appelé venture capital – et ont levé plus de 2,7 milliards de dollars en 2016, faisant ainsi de la France le leader européen des capitaux levés devant le Royaume-Uni. L’année 2016 aura d’ailleurs marqué un record pour l’écosystème français : Deezer avec une levée de 100 millions d’euros pour contrer Spotify et Apple Music, Navya avec 34,1 millions d’euros pour développer sa solution de bus sans conducteur, ou encore OVH qui lève 250 millions d’euros et pénètre dans le périmètre restreint des « licornes », ces startups valorisées à plus d’1 milliard de dollars. La plupart des startups ont cependant une espérance de vie faible alors que les « chosen ones » tendent parfois à être survalorisées. Cela ne remettrait-il pas en cause la pérennité d’une telle dynamique ? Ne devrait-on pas craindre une bulle grandissante qui à tout moment pourrait éclater ?
Lors du Forum économique de Davos en 2016, des experts ont annoncé que seules 30 des 146 licornes en date survivront à horizon de 12 ans. Vision défaitiste ? En France, la multiplication des startups, et surtout dans le numérique (38%), ne fait qu’accroître une concurrence déjà bien ancrée, desservant ainsi les startups elles-mêmes. En effet, dans le secteur du numérique par exemple, les entreprises émergent les unes après les autres alors qu’une seule subsistera, se placera comme vainqueur et assurera sa place. Cela confirme bien cette logique du « Winner takes it all » qui fait que seule la meilleure de chaque domaine conquerra le marché. Mais qu’en est-il du risque de bulle ?
Nicolas Colin, cofondateur et associé de The Family, structure qui accompagne et finance les startups européennes, dédramatise la situation et affirme en 2016 « qu’à partir du moment où parmi une dizaine d’entreprises, une seule se détache, tous se précipitent à sa porte pour essayer de placer du capital. Les enchères montent et la valorisation de l’entreprise aussi. Néanmoins, une fois que le vainqueur a pris tout le marché, il n’a pas gagné ad vitam aeternam. Dans le numérique, par exemple, les positions, même en quasi-monopole restent fragiles. Souvent les entreprises, un temps dominantes, s’effondrent et disparaissent. Les bulles se forment et éclatent. Elles sont simplement un passage obligé de la sélection des meilleures entreprises. »
Dans cette perspective, les bulles pourraient bel et bien éclater, mais ne présenteraient aucune crainte pour l’économie ; peut-être seulement de colossaux manques à gagner pour les entreprises face à ces fonds perdus. Soucieuses de rester dans l’ère du temps et voulant parfois rompre avec l’image de l’entreprise archaïque vieillissante, certaines de ces entreprises françaises se tournent vers une autre alternative qui permet de contourner le capital risque, de temps à autre plus risqué que rentable.
L’intrapreneuriat est le nouveau compromis qui réduit la prise de risque tout en gardant l’espace ouvert aux nouvelles idées et en encourageant la prise d’initiative. Ainsi, à l’inverse de l’entrepreneur fortement engagé dans le financement de son projet, l’intrapreneur est protégé et porté par son entreprise qui met à sa disposition les moyens nécessaires pour mener à bien son projet. Cette tendance séduit les salariés qui trouvent de nouvelles opportunités via l’intrapreneuriat. Une étude réalisée par Deloitte révèle que sur les 3961 salariés français sondés « 72% se disent intéressés » par la démarche de l’intrapreneuriat, « 12% des salariés ont déjà eu une expérience intrapreneuriale, et 9 intrapreneurs sur 10 sont prêts à recommencer cette aventure. D’autant plus que les projets développés semblent avoir la cote : 66% d’entre eux ont été adoptés par l’employeur. »
Aujourd’hui, de nombreuses grandes entreprises ont emboité le pas : le Crédit Agricole, Air Liquide, Orange ou encore EDF ont leur propre programme d’intrapreneuriat. Orange a même créé un pôle d’innovation à Châtillon où évolue par exemple un salarié qui est devenu intrapreneur en développant une offre de sécurité des réseaux informatiques pour les entreprises. Quant à EDF, le géant de l’électricité veut soutenir les innovations, qu’elles soient internes ou externes, et a annoncé en septembre dernier vouloir investir « 40 millions d’euros dans 10 startups d’ici 2 ans » à travers son projet EDF Nouveaux Business. Cet exemple montre que le choix entre la voie interne et la voie externe pour l’innovation ne s’impose pas de manière automatique, mais bien au contraire. Finalement, « le modèle de l’innovation des grands groupes de demain » devrait sans doute être « un écosystème complet, alliant intraprises et partenaires externes ».